Article publié dans la revue Front Populaire, le 2 septembre 2024 sous le titre "Ce qu'il reste de démocratie dans les démocraties dites libérales"
Dans la torpeur d’une fin d’été brûlante souffle avec violence sur les démocraties dites libérales le vent glacé de la censure. En effet, depuis quelques semaines et avec une accélération au cours des derniers jours, le monde qui se revendiquait bruyamment comme libre et défenseur des libertés est en proie à une vague inquisitoriale extrêmement préoccupante.
Il y a quelques années, lorsque j’engageai mon travail de réflexion sur les formes contemporaines de la censure (en France), je fis le constat d’un paysage dévasté. J’y constatais la redoutable articulation d’une tectonique censoriale généalogiquement issue de la Terreur révolutionnaire (Loi des suspects, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », etc.) et qui, sous les oripeaux du « progressisme » permettait d’instrumentaliser la justice en invoquant une obsessionnelle lutte contre des haines diverses et toujours plus variées au profit de ce qu’il est convenu d’appeler la « tyrannie des minorités ». Ce constat, qui me semble désormais presque classique, terminait par l’analyse (un peu hâtive me semble-t-il rétrospectivement) de la réactivation contemporaine d’une censure directement politique par le biais d’un certain nombre de procédés : reprise en main de médias par ailleurs idéologiquement acquis à la cause du pouvoir ainsi que financièrement soumis à cette même main qui les subventionne grassement, arraisonnement de la liberté de parole sans précédent -offerte le temps d’une décennie- par les réseaux sociaux, intervention du pouvoir dans l’édiction de la Vérité et narratif officiel sur tous sujets (dispositifs anti « fake news », lutte contre la prétendue désinformation, etc.). Ces dérives n'en étaient encore qu’à leurs débuts lorsque je concluais mon travail.
A la faveur des bouleversements informationnels, politiques, sociétaux et anthropologiques majeurs intervenus depuis la Grande Peste Pangoline et la mise sous surveillance sans précédent du « parc humain » (pour reprendre l’expression du philosophe Peter Sloterdijk) que la gestion de cette crise a permise, tous ces procédés et outils de censure se sont renforcés et ont en quelque sorte muté de manière systémique et opérationnelle. Jusqu’à présent, le déploiement des mesures liberticides dans le camp « libéral » s’opérait principalement au plan législatif et dans l’ordre du discours, des intentions. Depuis quelques temps, avec une accélération cet été, les pouvoirs concernés et dont le but est l’auto-préservation/perpétuation/confiscation au détriment des peuples, sont passés à l’acte, ce qui était à prévoir : la question n’est désormais plus de savoir SI les dites démocraties libérales vont basculer dans l’autoritarisme voire vers une forme subtile de dictature (subtile et perverse dans le sens où elle se présente toujours comme en lutte contre un fascisme imaginaire : « siamo tutti antifscisti » scandent des foules de brebis mimétiques à la main du pouvoir qu’elles élisent régulièrement, alors même que c’est précisément le « tutti » qui porte en lui la forme radicale du « totalitarisme », ne souffrant pas la moindre contradiction), mais bien de savoir QUAND cette bascule va se réaliser. Et il semblerait que le vent de l’Histoire soit précisément en train de s’accélérer sur ce point comme sur d’autres.
La France vient par exemple de procéder à l’arrestation honteuse du fondateur et patron de la messagerie Telegram, Pavel Durov, pour des motifs aussi farfelus que biaisés, France qui est aussi le pays d’origine du sinistre Thierry Breton dont le zèle inquisitorial à la Commission européenne via la mise en place du DSA (Digital Services Act, règlement européen sur les services numériques) finit par embarrasser jusqu’à ses propres complices européens (le récent chatelain, nouveau riche de cette bourgeoisie mandarinale et populicide n’est évidemment pas assez discret : il conviendrait de faire au moins un peu semblant d’être attaché aux libertés, de donner le change…). Dans cette affaire, il est à noter que la France et l’Union européenne sont confrontées piteusement à une sorte de conflit de loyauté et d’allégeance : il faut à la fois se plier à l’agenda mondialiste, progressiste, destructeur des souverainetés nationales dicté par le suzerain américain et donc activer la censure de tout ce qui contredit cet agenda et ce narratif dominant, mais, dans le même temps, s’en prendre à une grande entreprise américaine (le courrier zélé de Thierry Breton visait en l’occurrence Elon Musk et l’entreprise X qui est l’objet d’une véritable hantise pour tous les adversaires de la liberté d’expression et d’opinion) c’est également attenter aux intérêts commerciaux dudit suzerain lequel est, on le sait, très regardant sur le respect de ses prébendes partout à travers l’Empire. Les moutons bêlants du progressisme mondialisé sous tutelle de l’Hégémon américain ne savent donc plus où donner de la tête pour complaire à leur maître et leurs genoux sont usés à force d’être mis à terre en signe de constante allégeance. Cette arrestation prend place dans un paysage sinistré, sur fond de suppressions de comptes Instagram liés à la droite patriote et à la dissidence idéologique, et de censure renforcée du paysage audiovisuel sur pression maniaque d’une gauche ouvertement liberticide jamais en retard dès lors qu’il s’agit de se mettre au service du pouvoir (attaques contre CNews, C8 etc.)
Le Royaume-Uni, autrefois patrie de l’Habeas Corpus et de la Magna Carta a quant à lui purement et simplement basculé dans une purge populicide et des procès de type stalinien, sous la férule à la fois grotesque et tragique du travailliste Keir Starmer, dans une forme extrêmement préoccupante de régime autoritaire où la dissidence d’opinion et d’expression se trouve réprimée avec une sévérité relevant de la pire dystopie. La police et la justice britanniques se sont mises avec un zèle qui serait comique s’il n’était si grave au service de cette nouvelle dictature qui prend appui pour accomplir sa basse besogne sur le pavement des bonnes intentions et de la vertu antiraciste : sous ce prétexte, dans un pays dont on vantait ad nauseam l’idéal multiculturaliste pour mieux critiquer le modèle hexagonal jugé insuffisamment inclusif, un pays où n’importe quel islamiste peut haranguer les foules à l’air libre sans être inquiété, il n’est désormais plus possible d’avoir le moindre débat public ou d’émettre la moindre critique dialectique quant à l’immigration de masse ainsi qu’aux nombreux effets de déstabilisation de la société que cette submersion entraîne, notamment en termes d’insécurité (mais pas seulement). Les meurtriers, les violeurs bénéficient de la complaisance objective d’un pouvoir (on renvoie sur le sujet le lecteur vers les grandes affaires criminelles de Telford, Rotherham, etc.), qui embastille en revanche, avec la plus grande sévérité les représentants de la working class livrée en pâture et délaissée par les pouvoirs publics depuis belle lurette. La police s’en va désormais à l’heure du laitier arrêter des citoyens britanniques au motif qu’ils ont tweeté ou même parfois simplement « liké » ou retweeté un message critique (on en est là), publier un « mème » dissident, moqueur, vous envoie directement à la case prison : on a même libéré des détenus de droit commun afin d’enfermer les prisonniers politiques, ce qui est un grand classique de toutes les dictatures. Il n’est du reste pas anodin d’entendre le gouvernement britannique vouloir profiter de ce contexte pour tenter de revenir sur la volonté populaire pourtant clairement exprimée de Brexit : c’est bien la souveraineté qui est en jeu, souveraineté que le progressisme mondialisé ne peut tolérer. Souveraineté d’un peuple qui doit pouvoir choisir qui il souhaite recevoir sur son propre territoire et à quoi doivent servir ses impôts (un homme a ainsi été réprimé sévèrement pour avoir dit qu’il ne souhaitait pas que le fruit de son travail, de ses impôts, profite à l’immigration : autrefois, une telle félonie du pouvoir se réglait par une mise en sac dans la Tamise…), mais aussi souveraineté du pouvoir politique lui-même et dont le rattachement aux diktats de la techno-ingénierie bruxelloise signe en réalité la soumission voire la disparition (l’exemple actuel de la France privée de gouvernement démontre que dans ce système d’abdication de la souveraineté, le pouvoir politique n’est même plus nécessaire, « ça » fonctionne tout seul).
Le Brésil quant à lui, -dont le Président Lula a été réélu selon la même matrice de lutte contre le Mal d’un fascisme de théâtre et qui, de ce point de vue, bien qu’appartenant aux BRICS, se rattache pleinement à la logique de captation du pouvoir qui traverse l’ensemble des démocraties libérales majoritairement occidentales (ou, disons, occidentalisées)-, vient de procéder à l’interdiction totale du réseau social X sur son territoire. La Cour Suprême a par ailleurs menacé les citoyens qui contourneraient cette interdiction vertigineuse d’une peine d’amende de 8900 $ par jour pour toute personne qui contournerait l’interdiction avec l’utilisation d’un VPN. Le Brésil se trouve ainsi, pour son plus grand malheur, à l’exact emplacement de sa devise, de son lieu d’énonciation originel et programmatique, « Ordem e progresso », en l’occurrence l’autoritarisme mis au service de l’idéologie progressiste. On aura beau jeu de présenter la situation comme étant celle d’un pays souhaitant conserver sa souveraineté face à la pseudo ingérence d’un « oligarque » américain : concrètement, pour le peuple brésilien, il s’agit bel et bien d’un acte gigantesque de censure visant à entraver la liberté non seulement d’expression mais, aussi d’opinion et, surtout, d’information, étant entendu qu’Elon Musk dispose des preuves selon lesquelles, une nouvelle fois, comme partout désormais en Occident, la désinformation orchestrée par les institutions du pouvoir brésilien a favorablement influencé la captation électorale du pouvoir par le camp progressiste. Partout on retrouve ce même paradigme : on peut même parler de standardisation mondialisée de la captation du pouvoir et des mécanismes de censure que celle-ci implique.
Les révélations selon lesquelles de nombreuses élections auraient été influencées par des plateformes acquises idéologiquement au camp mondialiste/progressiste s’accumulent, s’amoncèlent partout, et, pourtant, cela n’entraîne aucun scandale majeur, aucun Watergate. A l’ère de la post-vérité, la réalité n’a pas d’impact : on la connaît, le public la connaît, tout le monde la connaît, mais il se développe une sorte d’indifférence à son égard. En ce sens d’ailleurs, le combat autour de la question des « fake news » et du couple désinformation/réinformation est presque déjà désuet dans la mesure où c’est la réalité elle-même qui ne compte plus : peu importent les faits puisque la connaissance de ceux-ci n’emporte plus de conséquences. A titre d’exemple récent, la révélation du scandale mondial majeur des Twitter Files et de la corruption ukraino-américaine via l’affaire Hunter Biden, révélation qui aurait, il y a 40 ans, déclenché un tsunami politique, n’a eu strictement aucun effet dans le réel. Prenons un autre exemple : il est désormais avéré que ce n’est pas la Russie qui a auto-détruit Nord Stream – ce que le simple bon sens indiquait à n’importe quel cerveau d’intelligence même basse laquelle ne semble pas avoir franchi le portillon d’entrée des chaînes dites d’information-, et pourtant, cette révélation qui était auparavant traitée de « complotiste » (autre bras armé de la captation du pouvoir par disqualification des points de vue divergents) n’a strictement rien changé au narratif dominant et encore moins entraîné de conséquences concrètes. Il s’est donc développé un régime d’indifférence à la vérité établie factuellement (la « vérité de fait » chère à Hannah Arendt), avec ce montage particulièrement pervers permettant aux désinformateurs/propagandistes de se proclamer eux-mêmes comme incarnant le « Cercle de la Raison », dont les autres seraient de facto exclus, ce qui est la traduction -dans un domaine épistémologique bancal- du « barrage républicain » ou encore de l’ « arc républicain » dans le domaine politique : on n’est jamais mieux servi que par soi-même et cela permet même de se servir dans la caisse (cf. le scandale du Fonds Marianne qui, là encore, n’emporte strictement aucune conséquence dans le réel…). Pratique.
La bascule vers la censure qui se propage partout dans le camp des démocraties libérales telle une trainée de poudre entraine quant à elle des réactions sur lesquelles il convient de se pencher un instant. Quasiment pas de réaction dans la presse mainstream, ce qui est lourd de sens, et pour cause : tout d’abord par porosité idéologique avec le pouvoir que cette presse soutient, promeut, et défend (le monde des médias a été presqu’unanimement muet pendant toute la détention politique barbare dont a été victime Julian Assange par exemple, quand il ne lui a pas explicitement craché au visage…). Mais aussi parce que le système de démocratisation de la pratique journalistique (le journalisme citoyen cher à Elon Musk) et la multiplication des contenus informationnels permise par les réseaux sociaux met en péril le monopole ainsi que le magistère dont disposaient jusqu’alors les journalistes dans ce domaine. Il y a là une connivence entre les médias et le pouvoir qui relève non plus de la soumission à ce-dernier (certes existante) mais du partage de gâteau. On ne verra par conséquent pas les médias se soulever contre les atteintes à la liberté d’expression visant des réseaux qu’ils considèrent comme des concurrents.
Dans le cas d’un certain nombre d’observateurs critiques, concernant les attaques étatiques ou transétatiques contre les réseaux sociaux, on relèvera par ailleurs un certain embarras lié à la prégnance fréquente d’un antiaméricanisme d’atmosphère (par ailleurs assez compréhensible à certains égards) : ce prisme obsessionnel et élevé au rang d’analyse systémique empêche certains d’admettre que ce sont bien les Etats-Unis qui placent la liberté d’expression en tête et en priorité de tous les amendements de leur Constitution. Admettre qu’un grand patron d’entreprise américaine (en l’occurrence Elon Musk) puisse être profondément et d’une manière quasiment existentielle voire métaphysique attaché à la liberté d’expression, est pour beaucoup une opération mentale voire épistémique presque impossible. Ce serait admettre que le libéralisme, entendu dans toute l’extension de son sens étymologique, puisse comporter tout de même quelques vertus et cela fait bugger des systèmes d’analyses raidies sur une grille somme toute assez manichéenne. Ce serait également admettre que la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran (membres non exhaustifs du fameux « Sud Global » tant vanté, pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons) interdisent ces réseaux sociaux non pas seulement, comme ils le prétendent, pour empêcher l’intrusion d’entreprises du Grand Satan et au nom d’un respectable souci de souveraineté technologique, mais tout simplement parce que ces pays sont dirigés de manière soit autoritaire ou dictatoriale et sont intrinsèquement opposés à la liberté d’expression : là non plus il ne s’agit pas plus de souveraineté qu’il n’y a de beurre en broche, mais bien de captation du pouvoir au détriment du peuple.
Les prochaines élections présidentielles américaines représentent d’ailleurs de ce point de vue un enjeu majeur pour l’ensemble des démocraties occidentales, ce qui prouve bien qu’il ne s’agit pas principalement d’une question d’éventuelle ingérence étrangère. L’enjeu véritable de ces élections est bel et bien celui de la préservation des libertés fondamentales (expression, opinion, etc.) et c’est seulement en amputant massivement celles-ci au détriment du peuple américain que le Parti de la Guerre pourra poursuivre ses activités aux quatre coins du globe: au regard de ce qui se produit et des appels à la censure émanant du camp progressiste/démocrate (désormais greffé de centaines de conservateurs pro-guerre), on peut raisonnablement penser qu’une victoire de ce-dernier représentera le cas échéant le moment de bascule générale des démocraties occidentales (avec adhésion obligatoire au narratif progressiste) vers un autoritarisme plus ou moins dictatorial selon les colorations locales. L’extension mais aussi la panique existentielle qui s'est emparée des régimes progressistes et mondialistes entraîne ainsi, en retour, en quelque sorte dans une boucle de rétroaction et d’amplification, une mondialisation inédite et remarquable des mécanismes de censure et c’est à cela que l’on est en train de commencer à assister d’où le sentiment oppressant de faire face à un monstre systémique auquel il va être difficile d’échapper.
Mais peut-être faut-il que les peuples soient complètement plongés dans le noir pour qu’enfin ils réalisent pleinement ce à quoi ils font face, peut-être faudra-t-il donc en passer par cette bascule pour que s’engage ensuite la reconquête des souverainetés.
photo © ERIC TSCHAEN-POOL/SIPA
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