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"Récupération" et alors ?


A l’heure du grand recyclage généralisé, alors que les spécimens les plus atteints par le virus wokiste vont jusqu’à suggérer que l’on se serve de nos morts comme de compost voire qu’on les mange afin de résoudre divers problèmes d’approvisionnement – nous aurons l’occasion de revenir d’ici quelques jours sur cette destruction méthodique du symbolique dans notre civilisation agonisante-, il semble qu’il y ait bizarrement toutefois une chose à laquelle l’on n’ait surtout pas le droit de toucher : c’est le réel lui-même.

Parfois, il arrive qu’un malheureux égaré du Camp du Bien s’y cogne par mégarde, comme cette magistrate ou ce journaliste qui ont subi des agressions violentes ces derniers jours par ceux-là mêmes que les corps professionnels et sociologiques auxquels ils appartiennent s’emploient si souvent à disculper, justifier et laisser libres de nuire. Le réel, nous l’avons souvent ironisé, cet abominable hoax d’extrême droite qu’il faut donc s’empresser d’invisibiliser, de taire, d’euphémiser et, désormais, de rendre intouchable, irregardable, indicible.


Au chapelet d’anathèmes disqualifiants (fascistes, racistes, complotistes, antivax, gilets jaunes, factieux, ennemis de la République, poutinistes et j’en passe) que les ligues de vertu (et de pouvoir) diffusent depuis plusieurs décennies afin de museler tout ce qui pourrait leur faire de l’ombre à la fois dans leur vision idéologique monopolistique du monde mais aussi, plus prosaïquement, dans leur mainmise sur les institutions de fabrique de l’opinion dont elles occupent les lucratives places, est donc venu s’ajouter l’accusation manifestement paralysante de « Récupération ».

Terrible accusation manifestement puisqu’elle permettrait par sa magique incantation de faire taire tout discours visant à contester l’état réel de la société et à empêcher de bâtir sur cette contestation un projet politique : adieu le J’accuse de Zola !


Cette accusation perverse (qui pervertit le réel) a permis, en quelques jours, de transformer une indignation légitime, fort heureusement bruyante (face au silence initial et gêné de l’exécutif et de sa presse docile), et le ras-le-bol qui l’accompagne, en une chose suspecte sur laquelle il était visiblement urgent de ne rien dire, jusqu’à Bernard Henri-Lévy pourtant grand expert ès-récupération de morts venant invoquer le deuil judéo-chrétien (comme si, au passage, les autres cultures ne respectaient pas leurs morts) pour intimer à l’opposition un hypothétique et pervers devoir moral de se taire : l’on connaît bien désormais les 50 nuances du pas de vagues…

Cela a permis de remplacer en quelques jours la dénonciation de l’ensauvagement et de la barbarie qui gangrènent chaque jour un peu davantage notre société en la dénonciation bien accommodante d’un mystérieux danger semi-nazi hantant nos vies quotidiennes.

Malheureusement pour nos curés des temps postmodernes, un clou chassant l’autre en la matière, ce sont immédiatement d’autres cas d’actes criminels commis par des individus sous OQTF qui sont venus prendre la relève dans un réel décidément têtu : en 24 heures seulement, la Bac nord de Marseille a permis d’interrompre un viol abominable, interpellant notamment l’un des auteurs, qui faisait l’objet d’une OQTF, tandis qu’à Saint-Etienne, un individu également sous OQTF menaçait au nom d’Allah et couteau à la main, presque la routine, étant entendu qu’en ces temps de sauvagerie, l’on a déjà bien assez à faire avec nos propres délinquants sans vouloir à toute force s’en rajouter des supplémentaires.


Sans entrer ici de nouveau dans le débat sur l’intégration et ses limites/échecs, l’anathème de « récupération » est dangereux non seulement parce qu’il permet de jeter le voile de l’aveuglement et du silence sur un réel qui va à l’encontre de l’agenda dominant, mais aussi, et c’est plus grave, parce qu’il revient tout simplement à nier la nature-même de la politique et en particulier de l’opposition politique. Faire de la politique c’est précisément récupérer le réel, l’analyser, le comprendre et proposer une action sur celui-ci : nier cette action c’est abolir la possibilité-même de contestation de l’ordre dominant, c’est résumer l’action publique à une simple gestion managériale.

Si bien qu’au lieu de s’en défendre, les oppositions (ici de droite) devraient bien plutôt revendiquer la récupération : bien sûr que des responsables politiques sont là pour récupérer le réel, pour le prendre en compte, pour le traiter et pour le modifier, en particulier lorsque celui-ci vient illustrer ce sur quoi ils tentent d’alerter. Sinon, qui le fera ? Que font les écologistes sinon de la « récupération » lors des vagues caniculaires? Que fait la gauche sinon de la « récupération » lors des pics d’inflation en proposant de taxer les superprofits ?

Il n’y a pas de bonne et de mauvaise récupération. Il y a la vie politique, qui se nourrit du réel et c’est très bien ainsi, n’en déplaise à ceux qui avaient pris l’habitude de maîtriser la hiérarchie des priorités, niant par exemple contre l’évidence que la France fût devenue un coupe-gorge.

Notons pour finir qu’il est assez amusant de constater que l’extrême-centre macronien qui pourtant avale tout en son trou noir d’antimatière idéologique, faisant feu de tout bois, est le premier grand récupérateur, disant tout et son contraire au gré du vent, des interlocuteurs et des attentes…



photo ©Stéphane Duprat/SIPA

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